Dans la tête de Gwen

Comme promis sur ma page Facebook, voici quelques explications quant à ce dessin un peu mystérieux que j'ai intitulé "Dans la tête de Gwen".

Gwen est schizophrène. Elle a été diagnostiquée comme telle. C'est du moins ce qu'elle m'a dit. Tout le problème est de savoir si ce qu'elle m'a dit concernant sa maladie est vrai, en sachant qu'elle m'a également dit avoir été sous hypnose pendant 35 ans, que l'hypnose c'était comme d'être possédé par le Diable comme dans l'Exorciste, et qu'elle avait jeté à la poubelle la croix qu'elle portait en pendentif parce que -me dit-elle- celle-ci tournait toute seule. J'ai, je crois, une ouverture d'esprit assez grande mais j'aurais quand même tendance à douter sérieusement de la réalité de ces dernières affirmations.

Bref, hier soir, nous étions plusieurs attablés dans ce qui est pudiquement appelé "le patio" (un rectangle de 30 mètres sur 5 doté de 2 tables-bancs et de 2 poubelles dans lequel les fumeurs peuvent s'adonner à leur vice) quand Gwen m'adressa la parole. Chose rare puisque j'ai dû attendre environ 2 semaines pour entendre le son de sa voix -qu'elle a douce comme celle d'une jeune fille alors qu'elle enchaîne les cigarettes roulées à qui mieux mieux - et j'ai donc été surpris qu'elle me parle...

Elle m'a d'abord parlé de religion, chose qu'il vaut mieux éviter de faire si on veut éviter de m'énerver (attention, je parle ici des gens qui parlent de religion -quelle qu'elle soit - en faisant du proselytisme, sinon je suis ouvert à tous types de discussion). Elle part donc dans ses délires mystico-religioso-ésotérique, et j'attends patiemment que son flot de paroles se tarisse pendant que se consume trop lentement ma cigarette...

Puis d'un coup, sans vraiment changer de sujet pour autant, elle m'a demandé si je pouvais lui dessiner ce qu'elle avait vu en songe, que j'ai interprété de la sorte : une main de Fatma et une main tendue vers le ciel, dans laquelle tombe des gouttes d'eau venant d'un nuage, nuage au-dessus duquel il y a une faux. Vaste programme !

Pressé d'aller me coucher pour m'éviter une discussion d'une heure sur Dieu, le Diable, les Anges, les Démons, je signifiais à Gwen que j'allais réfléchir et que j'essaierai de dessiner quelque chose le lendemain. Ce matin donc, je gribouillais une représentation d'une main de Fatma que je trouvais jolie sur mon cahier, puis esquissais la fameuse main recueillant l'eau (mais ne pouvant pas complètement la retenir), eau venant de gouttes de pluie, elles-mêmes venant d'un nuage, nuage surplombé par une faux que j'imaginais comme celle de la Faucheuse (la représentation symbolique de la mort).

Puis je pris mon beau cahier à dessins offert récemment par ma chérie, et commençait à mettre "au propre" les croquis que j'avais faits rapidement. Je me suis enfermé une heure dans ma chambre avant le déjeuner avec le cahier, des crayons à papier, du HB au 6B (plus ou moins gras), un taille-crayon, une gomme, un bâton de sanguine et 2 estompeurs. J'essayais d'être minutieux et patient, condition sine qua non en dessin, surtout quand on doit dessiner des détails comme les différentes circonvolutions de la main de Fatma. Il faut aussi être prudent avec la sanguine (que décidément je ne maîtrise pas bien) sinon on en met partout et on se retrouve avec un dessin constellé de taches... Enfin arrivé l'étape de la gomme et de l'estompeur, et là, ça veut dire qu'on approche de la fin.

J'ai donc réussi à faire à peu près ce que je voulais avant d'aller déjeuner et j'ai profité de cette occasion pour dire à Gwen que j'avais fait son dessin. Dessin que je lui ai montré et qui semble-t-il ressemble à ce qu'elle a en tête (d'où le titre du dessin), au détail près que pour elle, la faux et la main étaient tournées dans l'autre sens. Mais bon, n'y étant pas, justement, dans sa tête à elle, j'ai dessiné en fonction de ce que j'imaginais dans ma tête à moi...

Ensuite, elle m'a dit que ce dessin représentait pour elle sa maladie, la schizophrénie, et elle m'a demandé ce que moi je retirais comme sens du dessin. Alors ça je ne m'y attendais pas du tout !

J'ai donc répondu sans trop réfléchir que la main de Fatma était un symbole de spiritualité et un porte-bonheur notamment dans les pays du Maghreb, que le centre du dessin, le nuage, représentait les 2 façons d'envisager la vie : le nuage est à la fois menaçant, d'ailleurs il est surmonté d'une faux, symbole de la mort, et il est à la fois celui qui apporte la pluie et donc l'eau essentielle à la vie, symboliquement représentée par cette main tendue qui recueille de l'eau sans toutefois réussir à tout retenir. J'y ai aussi vu la notion de temps qui passe, inexorablement, sans que l'on puisse revenir en arrière. Et qu'il faut donc vivre pleinement le moment présent, l'eau au creux de notre main...

Je crois que finalement, de cette réflexion d'une schizophrène que je trouvais complètement absurde, j'ai tiré quelque chose qui relève presque de la philosophie. Comme quoi...